Dans la glorification du "travail", dans les
infatigables discours sur la "bénédiction du travail", je vois la même
arrière-pensée que dans les louanges des actes impersonnels et conformes à l'intérêt
général : la crainte de tout ce qui est individuel. On se rend maintenant très
bien compte, à l'aspect du travail --- c'est-à-dire de ce dur labeur du matin
au soir --- que c'est là la meilleure police, qu'elle tient chacun en bride et
qu'elle s'entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs,
du goût de l'indépendance. Car le travail use la force nerveuse dans des
proportions extraordinaires, et la soustrait à la réflexion, à la méditation,
aux rêves, aux soucis, à l'amour et à la haine, il place toujours devant les
yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi
une société, où l'on travaille sans cesse durement, jouira d'une plus grande sécurité
: et c'est la sécurité que l'on adore maintenant comme divinité suprême. --- Et
voici (ô épouvante !) que c'est justement le "travailleur" qui est
devenu dangereux ! Les "individus dangereux" fourmillent ! Et derrière
eux il y a le danger des dangers --- l'individuum !
Nietzsche, Aurore, livre troisième