Une nuit en campagne
Redescendre vers Piazza Armerina ne fut pas pour autant une partie
de joie, puisque tout était collinéen. Et c’est presque de nuit que j’arrivais
dans cette ville.
Se poser, rapidement. Fuir la ville et trouver la nature, dormir...
Les voitures se sont calmées un peu ou je m’y suis
habitué, et apparemment les chiens de chasse qui rôdaient autour de moi sont
rentrés bredouille. Quelle idée aussi de m’être installé dans un champ emblavé
au-dessus de la route, lâchement abandonnée la veille. C’est vrai que la route
n’indiquait aucun village et aucune bifurcation avant 15 km, et qu’il faisait
nuit… arriver à Caltagirone ce soir même (30 km) pour se faire doubler en
klaxonnant, c’était hors de ma volonté ; et je me rendrais compte de
beaucoup de limites à ma volonté, lors de ce voyage.
Ou bien je deviens vieux,
ou bien mon premier sentiment envers le monde, celui du non-agir est en train
de se confirmer. La perte de cette raison d’avancer à tout prix qui fait encore
partie du système régulateur du progrès, en saturation. Avancer, pourquoi ? le progrès, pourquoi ?
l’histoire, pourquoi faire ?
A quoi sert l’histoire et le souvenir des
constructions humaines ? des civilisations ? que se passe-t-il si
l’on ne fait rien et qu’on ignore la morale de leur histoire, c’est-à-dire de
leur fin ? (histoire = fin de l’être, ce qui est mort). Les animaux n’ont
pas d’histoire universelle, et pourtant ont continué à exister à travers les
âges car ils sont restés liés étroitement à la nature. Au terme de toute cette
science se profile l’étude des restes.
Ruinologie. J’ai vu tant de ruines de
maisons construites pendant les dernières décennies, abandonnées par un exode
vers les vils, laissant les plus vieux mourir en campagnes et faisant des
vieilles pierres leurs tombeaux. Ces vestiges, à mon sens, ont bien plus de
valeurs que des pierres antiques relatives à une civilisation complètement
déconnectée de réalités actuelles et qui ne signifient plus rien si ce n’est
pour les archéologues spécialistes et les touristes qui viennent se divertir
sans comprendre pourquoi une agence de voyage leur a vendu ces vestiges de
civilisation dans le pack, mais qu’ils ont pris parce que c’était compris.
C’est
avec ces pensées floues que je me réveillai au milieu de ce champ dont la
maison était abandonnée au bord d’une nationale qui avait dû être construite
bien après cette masure, et de laquelle on entendait les voitures et les
camions vrombir à haut débit.